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QUESTIONNAIRE SENTIMENTAL DU TEXTILE : Isabelle Cabrita


Isabelle Cabrita - crédits photo : ©Isabelle Cabrita

Isabelle Cabrita est la fondatrice et la directrice artistique de Good Gang Paris.


En marge de son parcours de designer et d'architecte d'intérieur, elle cultive depuis toujours sa passion pour le textile. Elle fonde d'abord, en 2012 l'association "Mille et une mains" à Bordeaux, où elle met en place des "interventions tricot ludique en milieu urbain", et où se sont dessinés les prémices de Good Gang Paris.

Elle se prête ici au Questionnaire Sentimental du Textile, qu'elle a elle même créé pour partager la notion durabilité émotionnelle qui lui est chère !



GGP - De toutes les matières textiles, laquelle est votre préférée ?

IC - Comme matière à porter le lin, pour la sensation autant que l'aspect, comme matière à travailler, la laine, le fil à tricoter c'est difficile d'y résister pour moi.


GGP - De quelle matière était fait votre doudou ? Ou votre vêtement d'enfance préféré, une matière qui vous plaisait ?

IC - Je n'ai pas eu de doudou en tout cas pas pendant mon enfance, mais, bien plus tard,une étole en cachemire a en quelque sorte joué ce rôle ! Je l'ai achetée un jour de grand froid il y a plus de 20 ans, alors que je ne portais jamais d'écharpe ( je ne trouvais jamais la bonne matière + la bonne couleur + la bonne forme). Je l'ai tellement portée qu'elle est pour le moment au repos, en attente de réparations. Echarpe, coussin de fortune pour dormir dans le train, plaid, châle... elle s'est adaptée à toutes les situations et m'a accompagnée dans beaucoup de voyages.


GGP - Votre souvenir le plus doux, marquant, par rapport à un vêtement, objet textile ?

IC - C'est difficile de choisir, il pourrait y en avoir tant ! Je dirais une petite blouse d'enfant, le premier tablier d'écolière de ma fille ainée. Elle est en toile de coton bleue. J'y avais cousu son nom, dans le cou, un étiquette de "nom tissé". Elle l'a portée l'année de ses trois ans au jardin d'enfant. Elle est pleine de taches de peinture, de feutre. Elle est conservée précieusement avec d'autres vêtements souvenirs.


GGP - Si vous n'aviez qu'une tenue, ce serait laquelle ? et pourquoi ?

IC - Une robe (en lin), ample, fluide, avec un joli décolleté et des poches (j'ai toujours besoin de poches). Sans fermeture ni boutons elle se passerait simplement, et s'enlèverait tout aussi simplement ! La robe, c'est génial, pas besoin de réfléchir à assortir le haut et le bas... et on peut superposer, un pull ou un gilet, mettre un t-shirt en dessous.. c'est un vêtement à la fois pratique et qui peut être confortable avec la bonne coupe et la bonne matière, et joli, laissant voir les jambes.


GGP - Pour choisir ce que vous portez c'est d'abord la matière, la couleur, le motif ?

IC - La couleur parce que c'est visuel, et que si je n''aime pas la couleur je ne porte pas, ET la matière , parce que j'ai besoin de toucher, il faut que ce soit souple, et silencieux, car il a des matières bruyantes ! Les motif ce n'est pas une chose que j'adopte facilement, mais j'aime quand il y a un effet de tissage qui crée un motif.


GGP - Quel est le vêtement le plus ancien que vous portez encore, quelle est son histoire ? pourquoi y êtes vous attaché ?

IC - Un gilet marron foncé avec un liseré noir, au col et en bas, et des boutons noirs, il a un petit style sans prétention. Je l'ai acheté en 1989 aux Galeries Lafayettes, en solde, je me souviens d'avoir été très fière de ma trouvaille. Il est moitié laine moitié acrylique, aujourd'hui je ne l'achèterais pas avec cette composition, mais il n'a pas bougé ou presque. Il est très simple mais fait partie de ces vêtements faciles à porter et qui vont avec quasiment tout. Mes filles me l'empruntent souvent. Parmi d’autres vêtements de la même époque, une veste 3/4 en jean foncé, doublée en tissage de laine, achetée en 1992 chez Kenzo. Elle est très simple, avec 4 poches plaquées devant (oui les poches !). Elle a un petit col en fausse fourrure amovible, le col est en velours mille raies noir. Je l’ai beaucoup portée, elle est élimée aux poignets et sur le bord des poches basses. Je n’ai pas réparé les parties élimées, je l’aime bien comme ça. J’y tiens parce qu'elle est intemporelle, très pratique, et s’adapte à une tenue décontractée ou “chic”. Elle me rappelle aussi une période de changement, de liberté et d’indépendance.


GGP - On parle de durabilité environnementale, ou physique, est-ce que la durabilité émotionnelle ça vous parle ? Dites-nous ce que ça vous inspire !

IC - La durabilité émotionnelle est pour moi ce qui nous relie aux souvenirs, à notre histoire...

Oui bien sûr ! La durabilité émotionnelle est pour moi ce qui nous relie aux souvenirs, à notre histoire, avec les vêtements c'est fortement symbolique, ça peut être lié à des sensations, des images. On peut remonter le temps en regardant un vêtement, en le touchant, ou simplement en s'en souvenant quand on ne l'a plus.


GGP - Le sens, dans la mode, pour vous, ça veut dire quoi ?

IC - Ce qui fait sens c'est peut-être la cohérence par rapport à des valeurs, une poésie.

Je crois que c’est le sens que chacun peut y mettre, donc pour moi la mode ne doit pas être un uniforme, mais une source d’inspiration où chacun.e peut puiser de quoi créer son univers, sa panoplie de super héro.ïne du quotidien, et qui soit le reflet d’une culture, de valeurs, de désirs.


GGP - L’impact de la mode sur l’environnement n’est plus à démontrer. Quelle information à ce sujet vous a le plus interpellé.e ? choqué.e ?

IC - La quantité d'eau et de pesticides liée à la production du coton, qui m'a longtemps semblé la matière la plus naturelle, peut-être parce que la plus courante et basique.

Mais surtout le jour où j’ai pris conscience que la plupart des personnes qui faisaient mes vêtements pouvaient en mourir, en raison de leurs conditions de travail, à cause de la pollution ou ne pouvaient pas en retirer un revenu décent et suffisant, j’ai vraiment pris une claque.


GGP - Pour vous, par quoi faudrait-il commencer pour limiter cet impact ?

IC - Sortir du système de sur-production de masse et de l’avidité.

Retrouver un équilibre en relocalisant les productions, pour que les économies locales profitent des ressources générées, que la circularité soit réellement régénératrice.

En tant que consommateurs reprendre le pouvoir sur le marketing offensif qui pousse à l'achat irréfléchi.

Réapprendre le désir aussi, penser ses actes.


GGP - Quelles sont les choses que vous avez changées pour aligner votre consommation du textile avec vos valeurs ?

IC - Une réduction très importante de mes achats depuis plus de dix ans, et des achats encore plus raisonnés : entre besoin, envie, et cohérence de mes choix avec les valeurs que j'ai choisi de défendre. Pas parfait encore, mais chaque jour je m'améliore, enfin j'essaie !


GGP - A quoi ne pourriez-vous pas renoncer en matière d'habillement ?

IC - Le confort, la contrainte des vêtements trop serrés, mal coupés, non merci. Poke les jupes crayon des années 80. Et la laine, la soie, le cuir, les matières qui sont ciblées par le courant végan, elles sont très performantes, et très durables si elles sont bien transformées et entretenues, elles peuvent se patiner et embellir avec le temps et l'usage. Et surtout les produits qui sont censés les remplacer me semblent souvent bien pire que ce qu’ils veulent combattre : transformation ou recyclage qui réclament beaucoup d’énergie, durabilité (durée d’usage) moins satisfaisante.


GGP - Comment faites-vous pour garder vos vêtements le plus longtemps possible ?

IC - Je les lave seulement quand nécessaire (les pulls moins souvent que les jeans, les jeans moins souvent que les chemises ou les t-shirts) toujours à basse température, je n’utilise pas de sèche-linge. Je les plie et je les range de façon à les voir, pour éviter les oublis au fond du tiroir ou de l’armoire. Et je les répare dès qu’il y a un petit accident ou un bouton qui manque.



GGP - Les pulls rétrécis, les chaussettes rouges dans une machine de blanc, ça vous arrive ?

IC - Oui, à mon grand désespoir, mais de plus en plus rarement heureusement, surtout depuis que j'ai formé et informé mes filles et mon mari.


Quelles sont vos solutions pour éviter ces accidents, ou les réparer ?

IC - Pour éviter les accidents, mettre les pièces une par une dans la machine, et si on a la place, avoir des bacs séparés pour le linge fragile. Et aussi ne pas laisser s’entasser le linge sale, parce que quand on a tout d’un coup le stress de s’en débarrasser on risque de prendre ça en paquets et c’est là que la chaussette rouge... Pour les accidents de couleur, je peux parfois réparer les dégâts avec du percarbonate de soude si c’est sur du “blanc” qui peut le supporter, sinon j’ai beaucoup reteint pour masquer les dégâts. Malheureusement, parfois et même le plus souvent, il n’y a rien à faire. Pour les pulls, en cas de feutrage léger il existe des produits pour “détendre la laine” avec un trempage, mais je ne suis pas sûre de la composition… pour les feutrages ou les rétrécissements importants, rien à faire sinon upcycler (moufles, maniques, doudous) ou pleurer…


GGP - Le visible mending, (ou réparation créative, inspiré du boro ou du kinsugi) vous connaissez ?

IC - Je ne vois pas du tout...(rires).

Si, en fait j'ai longtemps pratiqué la réparation "classique", et un jour j'ai réparé le chapeau de paille de mon mari pendant des vacances au Portugal. Ce chapeau avait déjà une bonne douzaine d'années, on l'avait acheté pour nos premières vacances ensemble, alors avec tous ces souvenirs attachés, pas question de le laisser tomber. Je venais d'acheter du coton de couleur pour le crochet (même en vacances oui ! j'adore explorer les merceries partout où je vais), vert, orange, rouge, bleu. On a choisi le rouge et j'ai réparé au point de croix, de façon très visible. ça tient toujours (avec mon mari aussi, durabilité émotionnelle !). J'ai ensuite exploré cette pratique, et découvert le travail d'artistes très inspirants, ce qui m'a permis de développer ma manière de faire, mon vocabulaire à moi.


GGP - Qu'est ce qui fait, d'après vous, qu'on hésite à porter un vêtement réparé ?

IC - Les vieilles idées reçues, la crainte du jugement, il peut y avoir un tas de raisons, comme une histoire liée à la peur du manque, la pauvreté.

Chacun avance comme il peut, il faut simplement encourager, montrer, raconter, expliquer, et partager les savoir-faire, les possibilités créatives. C'est ce qui m'a donné envie de créer Good Gang Paris.



Retrouvez toutes les personnalités qui on répondu à notre questionnaire sentimental : ici.



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