Aurélia Gualdo est doctorante en anthropologie sociale à l'EHESS.
Sa thèse en cours porte sur la dimension réparatrice de l'engagement pour la mode. Elle a réalisé une ethnographie auprès de la communauté slow fashion à Paris.
Pour notre plus grand plaisir elle a accepté de répondre à notre Questionnaire Sentimental du Textile !
GGP - De toutes les matières textiles, laquelle est votre préférée ?
AG - Le chanvre, parce que j'ai la peau sensible, que cette matière me semble être assez résistante aux années et aux chocs, et que c'est une plante qui a plein de vertus souvent méconnues.
GGP - De quelle matière était fait votre doudou ? Ou votre vêtement d'enfance préféré, une matière qui vous plaisait ?
AG - Synthétique et coton pour le doudou, coton pour le vêtement - un pull rouge des Tiny Toons -, et aussi synthétique pour les déguisements !!
GGP - Votre souvenir le plus doux, marquant, par rapport à un vêtement, objet textile ?
AG - Les chemises en soie de ma mère.
GGP - Si vous n'aviez qu'une tenue, ce serait laquelle ? et pourquoi ?
AG - Un hoodie, un t-shirt, un jean : décontracté et selon la chaussure le style peut changer.
GGP - Pour choisir ce que vous portez c'est d'abord la matière, la couleur, le motif ?
AG - C'est d'abord l'humeur du jour ! Que j'associe à un style vestimentaire (décontracté, sérieux, tenue pour sortir, tenue pour bricoler..), puis les couleurs.
GGP - Quel est le vêtement le plus ancien que vous portez encore, quelle est son histoire ? pourquoi y êtes vous attaché ?
AG - Je porte beaucoup de vêtements anciens qui appartenaient à mes parents. La pièce que je préfère est le t-shirt "Chicago" qui appartenait à mon père. Un t-shirt noir, 100% coton, oversize sur moi, avec la tête d'un indien d'Amérique du Nord, le logo des Blackhawks de Chicago, c'était une amie américaine de mon père qui lui avait offert. Je le portais vraiment souvent à une période, Chicago à ce moment-là dans ma tête était en référence à la house music..
GGP - On parle de durabilité environnementale, ou physique, est-ce que la durabilité émotionnelle ça vous parle ? Dites-nous ce que ça vous inspire !
AG - Oui, la durabilité émotionnelle m'évoque la mémoire psychique et physique, celle que les cellules de nos corps peuvent garder.
Le toucher est important dans le travail de cette mémoire, les souvenirs passent aussi par la fonction haptique, en plus de l'optique, l'ouïe, l'odorat.. La durabilité émotionnelle est un facteur d'une mémoire individuelle et collective, comme la durabilité environnementale.
GGP - Le sens, dans la mode, pour vous, ça veut dire quoi ?
AG - Dans le cadre de mes recherches, le sens est lié au politique dans la mode. S'il n'y a pas de sens, il y a un phénomène de bullshitisation (cf Bullshit Jobs, David Graeber, éd. LLL, 2015) qui engendre des troubles dans le travail créatif, mais aussi dans les chaînes de production-fabrication vestimentaire. Ce phénomène apparaît de plus en plus à Paris depuis l'effondrement du Rana Plaza (Dacca, Bangladesh), le 24 avril 2013, où huit étages de cet immeuble se sont écroulés, n'étant plus aux normes sanitaires, laissant des milliers de morts et de victimes.
GGP - L’impact de la mode sur l’environnement n’est plus à démontrer. Quelle information à ce sujet vous a le plus interpellé.e ? choqué.e ?
AG - La pollution des océans. C'est de pire en pire, l'augmentation de la consommation de plastique dans le monde a triplé depuis les années 2000, les vêtements "semis" synthétiques y sont pour beaucoup en rejetant des microparticules de plastiques à chaque lavage, la coloration des textiles est un scandale, les déchets plastiques propulsés en Asie du Sud où les agriculteurs ne cultivent plus des graines mais s'improvisent recycleurs de ces déchets est incompréhensible.. Cela pollue la nature et les êtres humains.
GGP - Pour vous, par quoi faudrait-il commencer pour limiter cet impact ?
AG - Limiter les quantités de productions. Utiliser plus de matières naturelles.
GGP - Quelles sont les choses que vous avez changées pour aligner votre consommation du textile avec vos valeurs ?
AG - La transition s'est faite progressivement, je n'ai pas changé du jour au lendemain. Je me suis informée sur le sujet, puis les actions sont venues naturellement.
GGP - A quoi ne pourriez-vous pas renoncer en matière d'habillement ?
AG - Le kaway !
GGP - Comment faites-vous pour garder vos vêtements le plus longtemps possible ?
AG - Je les répare ou les fais réparer ! J'essaye de faire attention aux lavages !
GGP - Les pulls rétrécis, les chaussettes rouges dans une machine de blanc, ça vous arrive ?
AG - Oui, hélas...
Quelles sont vos solutions pour éviter ces accidents, ou les réparer ?
AG - Dormir plus (pour faire les choses en conscience et éviter les erreurs de tri !). Pour les réparations : rapiéçage invisible, borderies, ou je les donne à une designer qui fait de l'upcycling.
GGP - Le visible mending, (ou réparation créative, inspiré du boro ou du kinsugi) vous connaissez ?
AG - Oui.
GGP - Qu'est ce qui fait, d'après vous, qu'on hésite à porter un vêtement réparé ?
AG - Cela peut faire cheap.
Retrouvez toutes les personnalités qui on répondu à notre questionnaire sentimental : ici.
Pour aller plus loin
Le séminaire Anthropologie des mondes de la mode, EHESS, prochain 18/11/2021 : https://enseignements.ehess.fr/2021-2022/ue/497
Retrouvez les autres invités de notre questionnaire sentimental du textile :
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